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Schade (2020) pour 4 voix (ou chœur mixte)

durée : ca. 7'30

en attente de création

 

Schade – dommage en langue allemande – est le dernier mot prononcé par la peintre Paula Becker morte en couche à 31 ans, mettant fin à un vie artistique très prometteuse. Cette amie de Rainer-Maria Rilke, pour laquelle celui-ci écrivit Requiem, était une femme « habitée » 1, entière, à la peinture singulière précocement impressionniste, sensible et novatrice, tant dans le choix de ses sujets, que dans le choix des couleurs et des textures employées.

 

En choisissant un court extrait des Bucoliques de Virgile, à ma manière, j'ai aussi écrit une sorte de requiem, mettant en relief la raison de sa mort et la difficulté pour une femme de conjuguer une vie d'artiste libre avec la maternité et les contraintes sociales.

 

Cette œuvre, sorte de nappe sonore aux harmonies singulières, se veut l'écho de l'étrangeté des peintures de cette artiste, telle que ses contemporains la percevait, y compris son mari Otto Modersohn, peintre tout à fait conventionnel.

 

Schade fait partie de ce que j'appelle mon "Testament spirituel", regroupement de toutes mes œuvres vocales, dont le choix des textes reflète un humanisme profond hors toutes croyances, même si certains textes mis en musique sont issus de corpus religieux.

 

 

Incipe, parue puer, risu cognoscere matrem

(matri longa decem tulerunt fastidia menses) ;

incipe, parue puer : cui non risere parentes,

nec deus hunc mensa, dea nec dignita cubili est.

 

Commence, petit enfant, à reconnaître ta mère à son sourire

(à ta mère, dix mois ont apportés de longs dégoûts) ;

commence, petit enfant : celui qui n'a pas vu ses parents lui sourire,

un dieu ne l'a pas jugé digne de sa table, ni une déesse de sa couche.

 

Virgile, IVe Bucoliques v. 60-63 (édition Les Belles Lettres, 1983)

 

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Schade n'a fait l'objet ni d'une commande ni d'une demande. Écrite en moins d'une semaine (10 au 18 mars 2020), elle est ma réaction « spontanée » à la pandémie de Covid 19. Le choc de l'énormité de la situation a produit en moi la « précipitation » de plusieurs idées en germe :

  • Cet extrait des Bucoliques de Virgile - que je veux mettre en musique depuis mes 20 ans - qui montre en quelques mots le fatum romain, l’absurdité de la vie et de l'inégalité de chance

  • La nostalgie du temps qui passe (tendresse et mélancolie)

  • La consolation que peut apporter des musiques telles Les Psalmi Davidis Pœnitentiales ou les Lagrime de San Pietro d'Orlando de Lassus, ou de Johannes Ockeghem la Déploration sur la mort de Binchois

  • La volonté d’approfondir une écriture harmonique chorale singulière que j'ai découverte en écrivant mon poème lyrique Kim Van Kieu

  • La lecture du livre de Marie Darrieussecq Être ici est une splendeur - Vie de Paula M. Becker, prolongeant ma découverte de cette peintre lors de l'exposition au Musée d'Art Moderne de Paris

  • La découverte du livre de Lydie Salvayre 7 femmes, dont le rythme de l'écriture, le style et la personnalité des femmes décrites sont formidables

  • Le souvenir des écrits de Rainer Maria Rilke dont la subtilité, la tendresse et la précision qui caractérisent ses écrits m'ont marqué et donné lieu à une œuvre précédente : Votre Rilke pour quintette à vent

  • Et enfin, une idée au fin fond de ma tête d'avoir écrit mon propre requiem, on ne sait jamais avec l'évolution effroyable des choses !

 

Bernard de Vienne

20 mars 2020

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1 Paula Becker aurait pu figurer dans le livre de Lydie Salvayre 7 femmes, dans lequel celle-ci parle de la vie de sept écrivaines talentueuses (©Perrin, 2013).

« Sept folles qui affirment leur volonté présomptueuse d'écrire dans un milieu littéraire essentiellement gouverné par les hommes. Sept femmes pour qui vivre ne suffit pas. Qui suivent aveuglément un appel. Pour qui écrire est toute la vie. Pour qui l’œuvre n'est pas un supplément d'existence mais est l'existence ».

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