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Votre Rilke (1996) 2ème quintette à vent

Votre Rilke - Le Concert Impromptu
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Commande de l’ensemble Le Concert Impromptu

Création les 22 et 23 mars 1997 à 1'Opéra National de Lyon lors du Festival Musiques en Scène.

Éditions Lemoine. Durée: env. 10’30

 

Votre Rilke : la signature du poète Rainer-Maria Rilke bien sûr, au bas des multiples lettres adressées aux femmes qu’il aimât.

 

Pour écrire cette œuvre, j’ai retenu de mes lectures des lettres, poèmes et textes en prose de Rilke ainsi qu’un certain nombre de motifs, de thématiques ou de procédés propres à son écriture.

 

Je me suis particulièrement attaché à saisir comment il entendait la musique, ce qui le touchait, allait dans le sens de ses préoccupations et images poétiques et me suis astreint à écrire la musique « idéale » qui aurait pu être la sienne s’il avait été compositeur. Je ne me suis pas comporté vis-à-vis de ses écrits autrement que lui-même : « celui-ci ne saisissait, intuitivement, que certains aspects de ses rencontres avec les livres, les œuvres d’art, les paysages et, dans une certaine mesure, les êtres ? Il n’en avait accueilli, mais passionnément, que ce qui révélait, précisait certains mouvements essentiels de sa propre nature. Il avait trouvé ces correspondances qui le fortifiaient, lui toujours menacé par le doute, qui l’emplissaient de joie et de gratitude en le confirmant dans sa singularité. Au moins autant qu’il s’est fait, dans un mélange spontané d’activité et de passivité, Rilke s’est laissé faire, s’est laissé former par ce qui convenait au meilleur de lui-même, refusant obstinément ce qui l’eût déformé. »

 

« Pour décrire ses poèmes, on a recours à deux catégories opposées d’images :

 

  • celles qui disent l’immobilité, le recueillement, l’accueil, la lente maturation (l’arbre, le fruit, le moine dans sa cellule…)

 

  • celles qui disent l’élan, le mouvement, le passage (l’oiseau, le vent, le pèlerin…) »

On retrouve alors dans son écoute de la musique, ces deux catégories opposées :

 

  • silence (brisé ou enveloppant), éloignement, faire taire, intérieur, murmure, paix, lointain…

 

  • la musique se dresse comme une ville (murailles, remparts, tours, tourelles), rage rythmique, déferlement, orage, tempête, vociférations, transports de joie…

 

A cette conception assez architecturale, spatiale qui est déjà « musique », il convient d’ajouter :

 

  • d’une part, ce qu’est le « chant » pour Rilke : chanter c’est être, qui chante respire, la respiration comme forme première entre le dedans et le dehors, chant issu des profondeurs de l’être, le chant = pure présence, souffle autour de rien, le chant convertit le temps en espace

 

  • d’autre part, l’idée que le monde reflété (du miroir, de l’eau, celui des anges, du ciel) est peut-être plus réel que la réalité

 

Rilke choisit donc des thèmes qui permettent de penser des catégories normalement exclusives (dedans/dehors, vie/mort…) comme complémentaires et formant par renversement une totalité, l’ambivalence du langage poétique le permettant.

 

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On trouve l’application de cette idée de reflets (plus ou moins déformés) dans la forme même de mon œuvre où, aux 2/3 de celle-ci plusieurs passages sont des reprises - par mouvements contraires et/ou rétrogrades, dans un ordre chronologique différent - de passages issus de la première partie de l’œuvre.

 

Ce qui est toujours actuel chez Rilke est la notion de correspondance : « celui-ci était un errant, mais sa vie était en réalité soumise à des lois moins visibles mais plus fortes; dans cette vie où Rilke rompait un à un tous les liens qui ne lui étaient pas essentiels pour la restituer sans relâche au prix d’efforts souvent cruels pour les autres et pénibles pour lui, dans la constellation de purs rapports, dans cette vie au fond très cohérente. »

 

La musique qui en résulte a une particularité qui est une constante dans mon écriture et rejoint les préoccupations de Rilke : celle-ci est faite de multiples motifs plus ou moins apparentés ou en contradiction, de même importance, reliés entre eux organiquement, dans une même forme, par un réseau de correspondances quasi rhizomatique, où chaque motif n’a de sens que dans son rapport avec les autres. Cette musique est caractérisée par son absence de centre, et le procédé de « miroir » renforce d’autant plus cet état d’une non référence à un motif primordial d’où toute l’œuvre serait issue. La lecture ou l’écoute d’un passage est donc considérablement enrichie par l’écoute (ou la connaissance) des autres moments où celui-ci réapparaît sous une forme légèrement modifiée, tissant ainsi le réseau qui s’étend à toute l’œuvre ? Ecouter revient à établir des correspondances où les variations et combinaisons de motifs sont moins importantes que le moment et la manière dont ils apparaissent.

 

Afin de refléter la précision, la délicatesse, le raffinement, la préciosité (parfois à la limite de la mièvrerie) de la langue de Rilke, j’ai pris le parti opposé : plutôt qu’écrire une musique raffinée, précieuse, aux sonorités rares, recherchées et pédantes, j’ai pris le parti de la simplicité, des sonorités « pures » et développé un jeu instrumental d’une grande légèreté, créant ainsi une musique aérée, sorte de contrepoint dans l’espace, espérant atteindre - pour employer les mots de Rilke lui-même - la grâce, la transparence qu’ignorerait une musique plus tendue.

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NB : les citations sont extraites de : RILKE par Philippe Jaccottet, éditions du seuil

Ce mémoire d’analyse (2003/2004) d’Isabelle Werck - professeur d’Histoire de la musique et auteure d’un ouvrage sur Mahler (éditions Minerve) - est une bonne introduction à certains aspects techniques de mon langage musical. Au travers de sa propre manière poétique d’envisager le fait musical, sur lequel je ne me prononcerai pas - et qui fait sa singularité - celle-ci a bien saisi les enjeux et problématiques de l’œuvre. Elle a eu accès à mes notes préparatoires et échangé avec moi sur ce quintette un peu particulier, eu égard aux circonstances de sa commande, liée à l’œuvre du poète Rilke. Le texte de présentation donne le contexte de l’écriture. Il existe un enregistrement : CD Les Identités remarquables, le concert impromptu & Bruno Belthoise, label Coriolan n°330 0901 - 2009. Elle est éditée par les Éditions Lemoine.

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