L'envie de partir (1993/1994)
1ère symphonie de chambre pour voix de mezzo-soprano
et 13 instruments solistes (ca.13')
L'envie de partir (1992)
1ère symphonie de chambre (version instrumentale)
pour 13 instruments solistes (ca.6')
1ère symphonie de chambre pour voix de mezzo-soprano et 13 instruments solistes (fl ; htb ; clar. ; bas. ; cor trp ; trb ; hp, 1 perc ; vl ; alto ; vlc et cb)
Poème de Philippe Jaccottet, extrait de A la lumière d’hiver (Éditions Gallimard-1977)
Création EOC - Vera Nicholova, mezzo-soprano - Daniel Kawka, direction.
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Nuages de novembre, oiseaux sombres par bande qui traînez
Et laissez après vous aux montagnes un peu
Des plumes blanches de vos ventres,
Longs miroirs des routes désertes, des fossés,
Terre de plus en plus visible et grande, tombe
Et déjà berceau des herbes,
Le secret qui vous lie,
arrive-t-il qu’on cesse de l’entendre un jour ?
Écoute, écoute mieux, derrière
tous les murs, à travers le vacarme croissant
qui est en toi et hors de toi,
écoute…Et puise dans l’eau invisible
où peut-être boivent encore d’invisibles bêtes
après d’autres, depuis toujours, qui sont venues,
silencieuses, blanches, lentes, au couchant
(ayant été dès l’aube obéissantes au soleil sur le grand pré),
laper cette lumière qui ne s’éteint pas la nuit
mais seulement se couvre d’ombre, à peine,
comme se couvre les troupeaux d’un manteau de sommeil.
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Ce poème de Philippe Jaccottet est tout à fait représentatif de son écriture, de ses pensées et de ses préoccupations. La richesse de sens, son climat en clair-obscur, doucement baigné de tristesse, proche de la mort, rejoignent sans aucun doute les sentiments qui habitent ma musique.
J’ai retenu de l’écriture poétique de Philippe Jaccottet un certain nombre de caractéristiques que j’ai faites miennes :
D’une part,
Une certaine pureté, simplicité d’écriture
Une esthétique de l’ébauche, du presque rien, bien loin d’épuiser son objet
Une sensibilité à fleur de peau,
Une poétique de l’immédiat, du réel tel qu’il surgit,
Une attention aux petites choses, à la fragilité quotidienne,
Et puis,
Une hantise de la mort, du vieillissement
Une perpétuelle inquiétude et mélancolie
Un doute incessant, balayant toutes vérités assurées
Et enfin,
Un espace, une lumière, une douceur et une joie pure et simple devant ce qui est.
La poésie de Philippe Jaccottet accompagne mon travail de création depuis maintenant bien longtemps. Son apparente simplicité m’a toujours fait craindre sa mise en musique : comment préserver une telle fragilité, comment rendre l’inquiétude, la sensibilité, l’onirisme, l’espace, la lumière, les contrastes et le rythme souple des phrases sans verser dans le descriptif musical ; comment intégrer dans une musique foisonnante, riche de contrastes, un texte fluide, lisse, subtil et secret. Travail passionnant, périlleux auquel je me serais donc livré non sans appréhension ni maturité d’écriture.
La forme du poème, comme trois haïku enchaînés, m’a permis de « l’emboîter » dans la structure de l’œuvre musicale, elle-même en deux mouvements enchaînés sans interruptions. On trouvera « en insert » dans le premier mouvement la partie centrale du poème alors que les deux autres parties de celui-ci constituent l’ensemble du deuxième mouvement où la partie centrale du poème n’est alors que suggérée et non reprise textuellement. La forme générale de l’œuvre va du « vacarme incessant » au « manteau de sommeil ».
Pierre Alechinsky, Les traversées : L'envie de partir
L’envie de partir (1992)
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Version instrumentale
1er prix du concours international de composition de la ville de Trieste (1993)
Création par le Klangforum Wien, direction Olivier Cuendet.
Éditions Lemoine
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Cette symphonie de chambre pour 13 instruments solistes (et voix de mezzo-soprano dans la version complète de l’œuvre) est l'aboutissement de mes dernières années de travail dans le domaine de la musique de chambre, avec ou sans voix soliste.
Du point de vue de l’écriture, on trouve un certain nombre de constantes que j'ai affinées au cours des années :
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une raréfaction extrême des motifs initiaux, soumis par contre à une grande variabilité (contrapuntique, harmonique, etc.) et se rejoignant tous dans leurs ultimes variantes respectives
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une forme proche d'une suite d'association d'idées où chaque motif peut être agencé à n'importe quel autre
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une succession d'événements très resserrés dans le temps, se dilatant ou se contractant sans cesse, provocant parfois des accrétions jusqu'à la saturation et entraînant brusquement un changement de climat, de matière et de couleur.
La technique demandée aux instrumentistes, ainsi que les procédés de composition, sont principalement traditionnels. Une grande virtuosité est par contre demandée aux interprètes, de manière à créer, par la vitesse, la densité sonore propre à ce type d'écriture. Il en résulte une musique instable, faite de ruptures, très mouvante et de caractère très ambivalent.
Cette oeuvre doit son titre aux lithographies de Pierre Alechinsky, Les traversées, d'un bateau en haute mer s'éloignant sous un grand soleil, variations cent fois répétées de ce même moment profondément mélancolique. L'une d'elle se nomme l'envie de partir, une autre manière de dire avec Baudelaire: « souvent la musique me prend comme une mer », c'est-à-dire… une invitation au voyage.
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NOTA BENE
L’enregistrement de cette version instrumentale l'a été dans le cadre du 1er Prix de Composition de la Ville de Trieste. Il correspond à la première partie de l’œuvre (sans la partie vocale) et correspond approximativement aux pages 1 à 13 et 21 à 40 du conducteur de la version complète avec voix de mezzo-soprano.
Version avec voix : mesures 151 à 178
Version instrumentale : mesure 1 à 31