Les inscriptions muettes (2016) pour ensemble de 15 flûtes (3/6/3/3)
Émission Tempo classique RCN (90.7)
Le Chœur de Flûtes de Lorraine joue en live des œuvres de Schubert, Bozza et Bernard de Vienne. A réécouter sur le site de la radio à l'adresse suivante : http://www.rcn-radio.org/index.php/album/tempo-classique/
Interview et écoute de l’œuvre à 00:14:30
Commande du Chœur de Flûtes de Lorraine (CFL)
Directrice Artistique : Catherine Debever-Perrier
Durée : ca. 13'
Créée le 16 juin 2024 au Théâtre de Saint-Dizier sous la direction d'Aline Dubuit-Figel
Éditions Delatour France prochainement
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Comme autant de strates géologiques cette œuvre recèle plusieurs niveaux de lecture.
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Tout d’abord, je dois le titre à la graveure et peintre Geneviève Asse dont le travail tout en finesse et en sensibilité est remarquable. Pas de tonitruance, d’effet de manche. Pas de mot d’ordre. C’est de sa part une véritable ligne de conduite.
« A l’intérieur de cette grotte (Ile de Gravinis, golfe du Morbilhan), dans des couloirs souterrains, se dressent des hautes pierres qui portent des inscriptions abstraites, mystérieuses, d’une grande beauté. Les lignes tournent autour des lignes, du haut en bas des pierres, sans se croiser, comme celles d’un labyrinthe vertical. (…) Le mystère de ces inscriptions muettes ressemble à celui qui entoure le travail du graveur ». (in, Geneviève Asse, la pointe de l’œil – Edition BNF).
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Celle-ci disait de son travail aux multiples nuances de bleus et de gris : « D’abord la gravure puis la peinture » - « Les gravures en noir et blanc, où le trait joue avec la lumière, restent les plus pures. » - « Etudes de la transparence » - « Le trait comme exercice de lumière » - « Le côté aigu de la gravure qui m’attire tant » - « Pierre tranchante = précision de l’écriture : raison pour laquelle j’aime la gravure » - « L’espace se compose de formes sommaires et sensibles qui s’équilibrent par la masse et par la lumière, une architecture secrète se crée. »
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Cette précision si caractéristique de la gravure est traduite dans mon œuvre par un grand soin donné aux détails et aux timbres, à la couleur (plus ou moins de motifs) et à la texture (plus ou moins saturé/dense). Il y a tout un panel de sonorités : des bruits, souffles, « sableux », aux sons les plus purs…
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Ensuite, j’aime à penser qu’une œuvre d’art se développe organiquement et recèle à l’insu du compositeur quelque chose de secret qui s’adresse de prime abord à notre sensibilité. Ainsi, comme une mémoire qui hante notre monde intérieur, divers moments fantomatiques affleurent en filigrane : le motif chromatique et les premiers accords de l’ultime variation des Geistervariationen de Robert Schumann, sa dernière œuvre pour piano avant d’être définitivement interné. Ce cycle est l’écho extrêmement sombre de ce qu’il fût, et l’écho encore plus inquiétant, l’ombre de ce que furent ses grandes œuvres. Ce quelque chose derrière les apparences semble nous dire « l’irréalité » du réel et de ce que nous sommes, ce que Schumann et sa double personnalité a probablement traduit musicalement dans certaines de ses œuvres.
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Mes inscriptions muettes sont une musique où les moments d’ombres et de chuchotements, les compagnons de mes rêveries, sont la trace de ce qui fût.
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Enfin, au niveau de la forme, ce travail de mémoire rejoint le travail du peintre Anselm Kiefer et l’idée de désagrégation/anéantissement qui lui est propre, comme si ces inscriptions muettes disaient l’indicible. De longues tenues, plages sonores animées de l’intérieur, sont coupées de moments fulgurants, comme autant de motifs surgissant du tableau. A des mouvements d’élans, succèdent des arrêts sur image (temps suspendu), des motifs éruptifs (sourdement violents) ouvrent sur des motifs de fuite, un signal sonore très distinct émerge très distinct, comme une respiration, de moments de confusion sonore.
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Au plus profond de l’œuvre, des courts fragments, traces d’autres de mes musiques apparaissent, comme en écho : mémoire du passé ou « mémoire du futur », traces de ce que je fus, ai été et serai. Le temps fluctue, se resserre ou s’étire, entre inquiétude et sérénité. Vers la fin, la forme se condense, comme une tache plus foncée rehausserait une œuvre En bleu adorable (Hölderlin).
« Les bleus diffèrent, la matière n’est pas la même. Le bleu comme un appel intérieur » dit Geneviève Asse.
Les anciens grecs voyaient la mort en bleu.