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Il Suono

Il Suono Jacques Le Trocquer - Bernard de Vienne
00:00 / 15:29

Version pédagogique (1981)

Commande pédagogique du Conservatoire de Gentilly pour 8 à 16 flûtes - Création en juin 1981.

Version pour 2 flûtistes et dispositif de réinjection (1983/84) - Création le 15 mai 1984 à l’Église St Saturnin de Gentilly par Jacques Le Trocquer et Bernard de Vienne puis enregistrement et diffusion par Radio France le 12 juillet 1984

Version pour 2 à 4 flûtes et dispositif de réinjection ou ensemble de flûtes (1984 - révision août 2006 pour l’ensemble le trio d’argent (août 2006)

 

Durée de toutes les versions : de 16’ (durée minimale) à 1 heure.

Édition Delatour France (dans le volume 1 des Vignettes pour 2 flûtes)

 

Texte de la version de 1984

Il Suono (le son) est une sorte de tapisserie sonore dont la chaîne est constituée d’un unique accord que masquent plus ou moins l’ensemble des divers modes de jeu, multiples motifs de fils sonores de couleurs et de qualités diverses (la trame).

Écouter signifierait présentement regarder ce lent et patient travail de tissage et suivre dans l’instant même, l’un après l’autre, le choix de chacun des fils sonores qui forment dans le temps l’ensemble de la tapisserie. En effet, aucun ordre n’étant imposé, les instrumentistes sont sans cesse amenés, à l'oreille, à choisir avec circonspection quelle sonorité - et donc quel mode de jeu - jouer à tel ou tel moment précis, en fonction du moment passé, présent et futur.

Le procédé de réinjection, sorte d’écho différé dans le temps, créé par le répétition des motifs joués précédemment, une épaisseur sonore continue dans laquelle se fondent l’ensemble des sons. Elle constitue par la même le fond commun où naissent et meurent tous les motifs qui s’en détachent.

 

Musique d'apprentissage

En ce qui concerne la version initiale pour les élèves, une réflexion sur la nature du son est toujours d’actualité et ceux-ci auront toujours intérêt, lors de leur apprentissage, à approfondir la connaissance de leur instrument par des pratiques courantes en improvisation souvent issues d’autres cultures.

Ceux-ci enrichiront ainsi leurs manières de jouer et donneront une image plus riche des multiples possibilités expressives de la flûte, développant ainsi toute une gamme de registres expressifs proches du bruit, du « son sale », des sons non tempérés, etc. De plus, cette œuvre que l’on peut qualifier stylistiquement de musique spectral et de l’improvisation, ne demande aucune virtuosité et peut être abordée par un élève dès le début du cycle 2. De surcroît, elle permet de développer une écoute mutuelle dans un groupe.

 

 

Commentaire de 2009

La 1ère version de cette œuvre date de mars 1981 et a été créée en juin de la même année. Cette commande du conservatoire de Gentilly, dirigé à l’époque par le flûtiste Jacques Le Trocquer, était destinée à l’ensemble de ma classe de flûte. C’était l’époque de la fin de mes études à la faculté de Vincennes et de mon entière activité comme flûtiste professionnel, entre autres au sein de l’ensemble Musique Vivante dirigé par Diego Masson, le fils du peintre André Masson. Musicalement, cette œuvre de jeunesse doit beaucoup aux divers courants qui parcouraient et agitaient le monde musical : on parlait de la musique comme d’une branche de la recherche scientifique et à l’opposé, d’autogestion et d’improvisation la plus totale (John Cage entre autres).

Cette œuvre relève de cet esprit post années soixante-huit, non dénué d’un pseudo mysticisme. Elle est le reflet de ma découverte des musiques improvisées (où le geste musical était primordial) que je pratiquais moi-même ainsi que des musiques non européennes (indienne, entre autres avec le flûtiste Hariprasad Chaurasia) et d’une manière différente d’écouter. Né en Tunisie, ma connaissance de la musique nord africaine m’a donné le goût pour les cultures et musiques non européennes ainsi qu’une passion pour la recherche des sonorités inhabituelles qui irriguent toute mon écriture musicale jusqu’à ce jour.

Il Suono est l’héritière des recherches vocales de Luciano Berio, de Stimmung et Adieu de Stockhausen, des diverses œuvres de Scelsi et ses recherches sur le timbre telles les célébrissimes Quattro Pezzi su una nota sola. Elle s’apparente aussi à la musique électroacoustique et les recherches sur le traitement du phénomène sonore telles celles menées au GRM dirigé alors par Pierre Schaeffer (Traité des objets musicaux). Le paradigme théorique dominant - mais en phase terminale - était la sérialisation intégrale où l’on décomposait le son en paramètres musicaux (attaques, durée, chute, timbre, intensité, hauteur, épaisseur, densité, masse, granulation etc.) tels que Boulez a pu le théoriser dans son livre Penser la musique aujourd’hui. A la suite des Mode de valeurs et d’intensités, la deuxième des Quatre Études de rythme (1949-1950) d'Olivier Messiaen, Karlheinz Stockhausen a mis en pratique cette manière d’écrire dans son célèbre Klavierstücke XI pour piano seul ou Zeitmass pour quintette d'instruments à vent (pour citer 2 œuvres emblématiques) et Brian Ferneyhough de façon extrême dans Cassandra’s Dream Song et Unity Capsule pour flûte seule.

 

1981, c’était aussi l’année de ma maîtrise à la Faculté de Vincennes, lieu parfaitement libertaire s’il en fût, et de la rédaction de mon mémoire, dont le sujet par provocation, aurait du relever de la Sorbonne et non de cette Faculté... Le sujet, aujourd’hui banal, l’était moins à l’époque : Évolution de la notion de polyphonie entre l’antiquité et le moyen-âge. Il posait la question de savoir si l’occident avait réellement inventé la musique polyphonique. Seuls quelques musicologues et ethnomusicologues tels André Schaeffner (Écrits de musicologie et autres fantaisies - Éditions Le Sycomore) ou… l’écrivain André Gide lors de son voyage au Congo, avaient compris, hors de l’eurocentrisme ambiant, étalon de toutes les cultures, que l’occident n’avait pas inventé la polyphonie, mais que cette manière de pratiquer, était à la base de la majorité des expressions musicales du monde, même si la musique est « monodique ». De plus, on sait aujourd’hui que les premières polyphonies occidentales (quelles que soient les régions d’Europe) n’ont fait qu’écrire ce qui se pratiquait à plusieurs voix distinctes mais simultanées depuis longtemps. Notre culture savante occidentale, sous l’influence de la pensée chrétienne, a de fait codifié, planifié et développé une pratique musicale déjà à plusieurs voix en inventant une manière de l’écrire. De plus, le mot même de polyphonie n’a été introduit dans le vocabulaire musical que dans la 2ème moitié du 19ème siècle par… Gustav Mahler, justifiant ainsi théoriquement sa manière de composer (par exemple le 1er mouvement de la 4ème symphonie). Ce mot eut la fortune que nous lui connaissons aujourd’hui !

 

Il Suono se fait l’écho de cet état d’esprit qui - retour de l’histoire - refait surface aujourd’hui. Par exemple, la musique d’avant-garde des années 60/70 mélangeait les cultures : melting-pot et autres musiques mixtes étaient la musique d’avant-garde avec les mots d’ordre d’alors. Si l’on veut depuis l’année 2000 écrire une « musique actuelle ou d’avant garde », il est impensable de faire une musique qui ne soit « métissée » culturellement et stylistiquement ; mêmes les musiques technos se sont trouvées en Pierre Henry un père spirituel et fondateur ! Le retour des groupes de pression ou de rock…, plus ou moins en autogestion, réactualise un esprit de guérilla face à la mondialisation, avatar du capitalisme d’alors.

 

Bien que mon écriture d’aujourd’hui n’ait plus grand-chose à voir avec Il Suono, le même état d’esprit l’anime dans le goût de l’infime détail, dans le foisonnement sonore, dans la luxuriance des timbres et la précision de mon écriture dans le moindre détail des différents paramètres du son.

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