Figures absentes pour violon seul (2006)
Commande de Dorian Lamotte
Création le 14 avril 2012 à Paris - Eglise Réformée du Luxembourg
Durée : ca. 6'. Éditions François Dhalmann
Cette œuvre aurait pu s’appeler Rückblick en référence au cycle Winterreise de Schubert, compositeur évoqué furtivement dans cette œuvre par un court écho de Trockne Blumem, un des lieder de son autre cycle Die Schöne Mullerin.
J’ai préféré un titre emprunté au poète Philippe Jaccottet. Son texte en prose Paysages avec figures absentes (dans l’ouvrage éponyme) est un regard intérieur plus proche de ma sensibilité que le désespoir de Schubert/Müller.
Cette œuvre profondément intimiste est une réponse à la demande de l’excellent violoniste Dorian Lamotte, longtemps deuxième violon du quatuor Debussy, dont la sensibilité humaine et artistique ainsi que le talent m’ont touché. Dans le cadre d’un récital soliste, celui-ci a demandé à plusieurs compositeurs d’écrire une œuvre apparentée à un genre de musique différent pour chacun. Il m’échut d’écrire une œuvre en relation avec le chant grégorien. Sans qu’il sache pourquoi, après avoir participé à la création de mon 2ème quatuor à cordes (sous titré 3 eaux-fortes à la manière noire), Dorian associait ma musique au plain-chant. Pour l’athée que je suis, cette demande m’a fait sourire, non par moquerie, mais eu égard au fait que j’ai souvent fait cette association, hors toute croyance, par le truchement de poètes tels Celan, Rilke et Jaccottet entre autres. Le regard intérieur, c’est-à-dire l’aperception, le fameux sixième sens selon la scolastique (et si bien illustré dans la tapisserie de la Dame à la licorne que l’on peut voir au Musée du Moyen-âge de Cluny à Paris), traverse toute mon œuvre. Le motif de doubles cordes "comme déclamé" n’est pas sans rapport avec la scansion caractéristique de ces si beaux plains-chants destinés à élever l’âme dans une communion avec Dieu. Mais par renversement, ce motif devient dans ma musique, non une affirmation destinée à élever l’âme vers une transcendance qui m’est étrangère, mais l’affirmation du regard intérieur, de l’interrogation sur la condition humaine.