Amours, marées pour baryton et ensemble (1991)
3 poèmes de John Montague
Commande de la ville de Trappes pour l'Ensemble Instrumental des Professeurs de l'école de musique
Trompette sib (+ picc. sib), trompette sib, cor en fa, trombone, tuba, 2 percussionnistes [I - caisse claire, 2 bongos, 2 timbalès, 4 cloches à vache, grosse caisse, 3 cymbales (petite, moyenne, grande) – II - 5 cloches tube, 5 toms, cymbale cloutée, tam-tam, 5 wood blocks] et contrebasse.
Durée : 8'. Non éditée
Une version toujours avec voix de baryton mais avec un autre ensemble est envisagé
A la genèse de Amours, marées, il y a ma découverte du recueil de poèmes de John Montague, The tides of love et la demande de l'ensemble ??? d’écrire pour quintette de cuivres avec un apport d’autres instruments.
La voix soliste et les percussions ancrent le quintette dans son passé historique, en évitant toutefois une connotation trop traditionnelle et trop directe (pas de chœur et mis à part les cloches tubulaires, les percussions sont sans hauteurs déterminées : pas de timbales ici). La trompette piccolo, qui a souvent un rôle quasiment soliste, n’est pas inconnue de cette formation, elle est seulement moins couramment employée.
Cette grande diversité de timbres et de dynamique rejoint l'univers poétique de John Montague : « Les marées montantes de l’amour qui nous soulève les marées descendantes de la mort qui nous entraîne par le fond ; entre ces deux rythmes premiers se déroulent notre vie. Un bref instant, nous tenons en équilibre comme des éphémères sur le grand fleuve héraclitéen, mais dans une vie vraie, nous redécouvrons les grands mythes au travers de nos frêles personnes. Le corps est une cage où chante l’esprit : un chant brisé, solitaire, ou amoureux. (…) Les poèmes de ce recueil reflète le difficile rapport entre la psyché et l’univers environnant, l’infiniment grand et l’infiniment petit, le rêve d’union entre microcosme et macrocosme. »
J’ai choisi d’écrire un triptyque. Trois poèmes qui, sous des aspects différents, ont des liens assez étroits entre eux : une vision d’horreur et d’épouvante, un regard sur la nature, une philosophie de l’existence.
Ainsi, par l’unité de la facture et par la façon calculée dont se répondent d’un volet à l’autre et s’équilibrent les différents motifs et les différentes couleurs, l’ensemble de l’œuvre constitue un tout indissociable, variation constante, inéluctable jusqu’à la mort : « we all turn, turn and tresh and disappear ».
Cette œuvre est écrite à la mémoire de mon père, mort prématurément des suites de la maladie d’Alzheimer.
Les trois poèmes retenus, Meduse - Sea changes - The tides of love, sont extraits de Amours, Marées, édition bilingue, choix de poèmes de Josine Monbet et Michael Scott, traduit de l'anglais par le Groupe d’études et de recherches britanniques, Université de Bordeaux III, Éditions William Blake, 1988.
MEDUSE
Again she appears,
The putrid fleshed woman
Whose breath is ashes,
Hair a writhing net of snakes!
Her presence strikes gashes
Of light into the skull
Rears the genitals.
Tears away all
I had so carefully built –
Position, marriage, fame –
As heavily she glides towards me
Rehearsing the letters of my name
As if tracing them from
A rain streaked stone.
All night we turn
Towards an unsounded rhythm
Deeper, more fluent than breathing.
In the pale light of morning
Her body relaxes : the hiss of seed
Into that mawlike womb
Is the whimper of death being born.
SEA CHANGES
Each rock pool a garden
Of colour, bronze and
Blue gleam of Irish moss,
Rose of coral algae,
Ochre of sponge where
Whelk and starfish turn
In odour of low tide;
Faint odour of stillness.
WINE DARK SEA
For there is no sea
it is a dream
there is no sea
except in the tangle
of our minds :
the wine dark
sea of history
on which we all turn
turn and thresh
and disappear.
MÉDUSE
Elle réapparaît,
L’infecte femme de chair
Dont l’haleine est de cendre,
La chevelure un nœud de serpents convulsés !
Sa présence ouvre des brèches
Fulgurante dans le crâne
Dresse le sexe.
Arrache tout
Ce que j’avais si bien bâti –
Situation, mariage, réputation –
Tandis que vers moi, lourde, elle glisse
Répétant les lettres de mon nom
Comme si elle les déchiffrait
Sur une pierre striée de pluie.
Toute la nuit nous tournons
Tendus vers un rythme insondé,
Plus profond, plus coulant que le souffle.
Dans la pâle clarté du matin son corps
S’apaise : le sifflement de la semence
Engloutie par ce ventre
Est le vagissement de la mort qui vient au [monde.
ALCHIMIE MARINE
Chaque flaque de roc jardin
De couleur, lueur bronze
Et bleue de la mousse perlée
Rose des algues corail
Ocre des éponges où tournent le buccin et l’étoile
Dans une odeur de marée basse ;
Vague odeur de silence
MER VINEUSE
Car il n’y a pas de mer
tout cela n’est qu’un rêve
il n’y a plus de mer
sauf dans le fatras
de notre tête :
la mer vineuse
de l’histoire
où tous nous tournons,
tournons, nous débattons
et disparaissons.