Achrome Pour 12 ou 24 cordes (2013/2014)
Création lors du spectacle l'Étrangèreté à Sidi Bou Saïd CMAM (Tunisie) le 3.10.2015, le 5.10.2015 à l'Institut Français de Sousse et le 7.10.2015 à l'Institut Français de Sfax - Orchestre National Tunisien, Mohamed Lassoued, chef d’orchestre et violoniste -
Alia Sellami, voix - Le concert Impromptu, quintette à vent
Durée : ca. 20’
Le titre de cette œuvre - en trois parties enchainées sans interruptions - est emprunté au peintre Italien Piero Manzoni (1933-1963) dont certaines peintures monochromes sont désignées sous le terme Achrome. L’impulsion poétique à la source de celle-ci m’est apparue lors de l’expérience physique d’une sculpture cinétique d’Elias Crespin (né en 1965 à Caracas) Plano Flexionante Circular. Ce qui relie ces deux artistes sont, d’une part, d’être à la limite d’une suspension/abolition du temps/geste, d’autre part, le rapport au silence/spiritualité et enfin, une profonde attention/sensibilité à la qualité poétique du « presque rien ».
L’explication théorique et humaine d’un tel positionnement va de la contemplation mystique à l’affirmation de ce qui fait le propre de l’homme : l’introspection, la réflexion sur soi-même, la méditation, nous renvoyant à notre condition humaine en une contemplation non nécessairement encadrée par une croyance. C’est le silence/absence comme révélateur, ou possibilité de révélation de ce qu’il y a de plus profond/personnel en nous, de nos pulsions sans cesse en mouvement, plus ou moins calmes ou agitées. Ce rapport au temps se révèle ultrasensible, touchant, à fleur de peau. C’est l’apaisement total du presque rien et l’interrogation sur la fragilité de notre condition/existence humaine.
L’œuvre d’Elias Crespin m’aura servi de cristallisation d’une idée qui traverse depuis longtemps mes œuvres : celle d’un écoulement du temps infiniment lent quasiment sans mouvement - notion totalement antinomique en musique, l’art du temps, du changement et de l’espace par excellence.
Musicalement, cela se traduit, non par une absence, mais par une réduction a minima des rythmes ainsi que par le recours à un matériau harmonique succinct où prévalent principalement des clusters et des intervalles d’octaves et de quintes, masquées par d’immenses glissandi. Paradoxalement, c’est la plastique - l’architectonique des gestes et mouvements - qui assure la cohérence globale de l’œuvre et non les rythmes et les hauteurs qui se révèlent secondaires. La complexité de l’écriture s’est ici comme déplacée dans les articulations, les intensités (souvent très ténues), les textures des timbres et manières de produire le son, les équilibres sonores, les rapports des diverses densités, de leurs tensions et impacts propres. Ces mouvements internes/gestes, réduits à leurs plus simples expressions plastiques (glissandi, mouvements contraires ou parallèles, opposition d’accords et d’unissons, moments de stabilité/tenues), sont « troués » de silences et de quelques brefs gestes rapides et violents (comme des entailles dans une toile).
L’écoute se trouve inversée. Pour celui qui accepte de se placer dans la bonne disposition d’esprit, c’est le temps et le silence de l’écoute intérieure opposé à celui du fracas quotidien. Soulignant le fond spirituel et désincarné, l’écriture dépouillée invite à une sorte de méditation.
Elias Crespin
Plano Flexionante Circular
2 extraits d'Achrome interprétés lors du spectacle l'Etrangèreté